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Oradour-sur-Glane nous dévoile un aspect intéressant de la préservation de notre patrimoine. Et ce n'est que pour parler de ce point particulier que j'évoque ici le souvenir de ce village.

 

 
 
 
 

 

Comme toujours, la préservation du patrimoine procède d'une décision arbitraire de conserver le lieu, parmi d'autres parce que plus exceptionnel d'un certain point de vue. Et bien entendu, cette préservation doit se faire dans son "état d'origine" pour garantir qu'il soit un témoin fidèle de son temps. Mais Oradour-sur-Glane a ceci de particulier qu'il n'est pas comme ces autres bâtiments ou ces quartiers historiques que nous connaissons, que nous avons eu l'occasion de visiter à la suite d'un guide qui nous y menait de part et d'autre, en nous montrant là des parties de bâtiments, ici ces manières particulières d'avoir construit les murs, jusqu'à certaines traces dans la pierre, et qui retraçait à travers elles l'histoire de l'édifice ou du quartier depuis leur origine jusqu'à ses dernières extensions ou démolitions, et évoquait à la suite les usages changeant dans l'histoire, et les grands évènements passés. On écoutait dans la curiosité le guide lire les bâtiments comme on lit des livres. Mais Oradour-sur-Glane n'est pas le souvenir d'une longue histoire. Il est souvenir d'une seule journée.

 

 
 
 
 

 

De quelle journée donc ? Je me promène seul à Oradour-sur-Glane, j'ai délaissé pour un temps les historiens qui m'y ont amené. Je me promène dans ces ruines un peu noircies d'une village pas si vieux : on y voit des plaques publicitaires et des poteaux électriques comme ceux que je voyais quand j'étais petit garçon. Des voitures, semblables à celle de mon grand-père, brulées laissées sur place, des fourneaux comme celui qui était chez ma grand-mère, des restes de machines à coudre abandonnés à travers la mousse et la pelouse. Je devine le cataclysme, le village abandonné sur le champ, détruit par le feu. Mais pourquoi ? C'est que la pierre n'est un livre ouvert que pour ceux qui en connaissent l'histoire. Un bâtiment ne parle pas de lui-même.

 

 
 
 
 

 

Les historiens qui m'ont amené ici me retrouvent alors et m'expliquent : Oradour-sur-Glane était alors une petite bourgade limousine active et ordinaire, avec ses commerces, cafés-hôtels, boutiquiers et artisans. Elle vivait principalement de l'agriculture, son marché attirait même les habitants de Limoges. Quoique depuis la première guerre, l'activité n'était plus vraiment la même, quant à la seconde guerre... Le 10 juin 1944, jour de marché, la 3e compagnie de Panzergrenadier de la division Das Reich entra dans Oradour-sur-Glane. Les soldats firent rassembler tout le monde, les hommes furent regroupés dans plusieurs salles du village, les femmes et les enfants furent amenés dans l'église. Les nazis mitraillèrent les hommes, incendièrent l'église, et tuèrent ceux qui n'obéissent pas aux ordres et ceux qui s'échappaient. Le lendemain, les SS reprirent leur route.

 

 
 
 
 

 

On décida de préserver le village en l'état, pour se souvenir à jamais de la barbarie nazie. Une chose curieuse, qui ne manqua pas de susciter la colère de la population à l'époque, fut la clémence du jugement des assassins : 21 des 64 soldats identifiés furent jugés en 1953. Le plus gradé et l'alsacien engagé volontaire furent condamnés à mort, les autres furent condamnés à des peines de travaux forcés ou de prison de cinq à douze ans. Quant aux rescapés, ils virent leur village érigé en symbole de la barbarie nazie et de l'unité nationale à reconstruire, et se virent confier par le général De Gaule la responsabilité de le préserver et d'en perpétuer le souvenir. L'état fit reconstruire le village à quelques centaines de mètres hors des ruines à partir de 1947. Les habitants y observèrent un deuil permanent jusqu’au début des années soixante. On ne célébra ni communion, ni baptême, ni mariage. Il n'y avait aucune activité festive, on ne jouait plus aux cartes, les bals étaient interdits. Les commerçants ne devaient pas avoir d'enseigne. Les femmes se vêtirent de noir. On ne voyait pas d’enfants. Les rues étaient désertes. Les survivants avait fini par penser qu'il fallait marquer une génération de deuil. Le docteur Lapuelle évoque que ce n'est qu'en 1988 qu'on commença à sortir de ce deuil : « Nous avons fait un acte de rébellion cette année. Le pharmacien a fait refaire son crépi ocre en jaune, sur la place. C'est quand même plus gai.» Si bien qu'on peut se demander si la peine que représente la charge du souvenir qu'on fit porter aux victimes n'était pas plus lourde que la peine qu'on fit subir aux assassins.

 

 
 
 
 

 

Avez-vous remarqué cette fantaisie du temps qui passe ? On débarrasse, on nettoie. La pluie lave la cendre. Le gazon pousse dans les ruines, on le tond, on enlève les mauvaises herbes. On installe quelques clôtures pour que le public n'aille pas dans les zones les plus dangereuses, ou pour réduire les dégradations. On enlève les morceaux de murs qui menacent ruine, on consolide les autres. D'une manière imperceptible, le village ruiné et fumant fait place à des ruines d'apparat. Les vieux bâtiments ne nous parlent plus tant du passé que du rapport que nous entretenons avec lui.

 

 
 
 
 

 

Je suis le premier à conserver des objets qui me rappellent ma famille, mes amis, mes voyages et mes souvenirs. Et à les placer par ci, par là dans ma maison, sur mes lieux de passage ou de repos, d'où ils me murmurent sans cesse d'où je viens et me rappellent à mes rêves. Mais régulièrement, je retire ceux qui ne me parlent plus, ou qui retiennent les mauvais souvenirs. Les vieux bâtiments aspirent à jouer le même rôle dans nos vies. Gardons-les s'ils nous soutiennent, nous encouragent et nous édifient. Mais évitons qu'ils nous étouffent et nous entravent.